Grand Prix culturel
«L’art pose forcément un regard critique sur le monde»
1er décembre 2014, Nicole Mottet s’entretient avec Geneviève Petermann
Avec le projet primé par le Grand Prix culturel de la Coopérative Neuchâtel/Fribourg, Geneviève Petermann réalise pour la première fois une œuvre in situ. Portrait d’une artiste qui a choisi d’emprunter plusieurs chemins en parallèle.
Que ce soit via la création, l’enseignement ou les ateliers de médiation qu’elle anime, Geneviève Petermann pose à travers son travail un regard poétique et ludique sur une société dont elle décortique les travers à coups de petits personnages monstreux et de textes ironiques. C’est dans le bâtiment de l’Hôtel de ville de Neuchâtel qu’elle a choisi de réaliser l’œuvre primée par la Coopérative Migros Neuchâtel/Fribourg. Plus exactement dans l’escalier de service de l’édifice offert à la ville par le bienfaiteur David De Pury.
Geneviève Petermann, pourquoi ce choix?
Le Grand Prix impliquait de réaliser l’œuvre dans un lieu public. Dès le début de mes recherches, j’ai été inspirée par les escaliers. J’aime leur destination de passage, de transition. J’en ai vu beaucoup avant d’arriver à celui de l’Hôtel de Ville. Dans certains endroits, les portes étaient fermées. Dans d’autres, comme à l’hôpital par exemple, il était délicat de faire de l’ironie. Mais celui-là , il s’est imposé comme une évidence. Alors même que je n’avais pas encore vraiment compris sur combien d’étages il se déroulait. Deux peut-être, quoique, avec les demi-étages, ça pouvait faire trois! L’escalier mène au Tribunal, à la salle de la Chartre. J’ai tout-de suite été séduite par sa simplicité, son petit côté déglingué, les quelques inscriptions sur les murs. On y croise des membres du Conseil général, des couples qui se marient ou qui divorcent, des politiciens… Mon travail pouvait s’y inscrire avec cohérence.
A côté de ce projet, dans quel univers artistique évoluez-vous?
Même s’il y a des constantes dans mes sujets, mes points de départ sous souvent imprévisibles. Avant de commencer, je ne sais jamais où mon travail va m’amener. A chaque fois c’est une nouvelle aventure. Cela peut aller jusqu’à me surprendre moi-même, voire me dépasser parfois. J’aime les techniques, le «bidouillage», la peinture. A l’intérieur de cela, je privilégie l’humain, le texte, l’intimité, qui s’expriment à travers des personnages plutôt petits, parfois monstrueux, que je nomme aussi « humains décalés ». Des figures pour lesquelles j’éprouve beaucoup de sympathie. Il arrive aussi que je transpose des histoires de familles. Je les regarde à travers l’œilleton, pour les mettre à nu, ressentir leur fragilité. Parfois je me fixe sur un seul aspect, comme cette série de nez que j’ai peints sur des alvéoles de boîtes de chocolat. J’ai aussi été sollicitée pour créer des scénographies et des costumes de théâtre. J’aimerais pouvoir tout faire, mais il me faudrait trois vies au moins…
Quelles sont les périodes artistiques qui vous inspirent?
Pour mon travail sur le portrait, je me plonge régulièrement dans l’extraordinaire production des artistes de la Renaissance. Parmi les contemporains, Lucien Freud ou Jenny Saville m’impressionnent, avec leurs déclinaisons du corps qui vont jusqu’à faire peur. J’aime la peinture et je me réjouis qu’elle perdure. J’y crois. A côté de ça, je suis touchée par tout ce qui parle de l’humain, par des femmes comme Sophie Calle, Anette Messager, et puis Alexandre Calder, que je considère un peu comme mon grand-père. Enfin Markus Raetz, un grand enfant qui manie avec rigueur l’amusement dans la recherche et l’exploration. J’apprécie les choses simples qui m’invitent à réfléchir et à créer.
Vous êtes artiste, médiatrice et enseignante? Tout cela est-il compatible?
Lorsque je vivais aux Etats-Unis, j’ai beaucoup travaillé comme artiste. C’est dans les années 90, en Floride, que j’ai commencé à faire de la médiation. La combinaison des deux me correspond bien. Il faut dire que je suis quelqu’un de très lent. Je n’accouche pas chaque jour de nouvelles idées. Il arrive qu’il ne se passe rien pendant 6 mois: quelques éléments se mettent en place, et puis je dois leur laisser du temps pour évoluer vers une réalisation concrète. Je ne pourrais pas fonctionner continuellement dans la pression de produire et de vendre. Du coup, mes différentes activités se nourrissent les unes des autres. Que ce soit les ateliers que j’anime au musée ou au CHUV (où elle a travaillé pendant six mois l’année passée avec des personnes en difficulté psychologique), je suis toujours en train de transmettre. D’ailleurs, certaines de ces expériences m’ont permis d’aboutir des travaux en cours plus personnels. Je me nourris de tout.
A votre avis, la médiation doit-elle être dispensée par des artistes?
Pour moi, c’est clair que ça rend le travail plus passionnant. L’artiste met la main à la pâte, il bénéficie de l’expérience du processus de création. Personnellement, cela me donne d’avantage d’exigences et ça me permet de mieux comprendre l’œuvre et l’artiste. Au final, je peux transmettre sa démarche, la faire découvrir, via des réalisations pratiques.
Et l’enseignement, c’est encore une autre démarche?
D’une certaine façon oui, car les élèves sont tenus de suivre les cours. Par contre, dans une école d’art, je suis face à des étudiants qui ont choisi d’être dans la création. Il en va d’ailleurs de même avec les cessions de formation continue que j’anime pour les enseignants et les éducateurs. Nous expérimentons différents thèmes: la création dans la nature, la gravure, le portrait. C’est un bonheur de transmettre.
Vous avez beaucoup voyagé et étudié de par le monde. Votre œuvre est plutôt optimiste. Dans la morosité ambiante, est-ce bien raisonnable?
Je n’ai pas besoin de me torturer. Si je réalise parfois des choses plus grinçantes, je dois les enrober d’une bonne dose d’humour. C’est une démarche tragi-comique, entre poésie et questionnement. L’art se veut interrogation, résistance, remise en question, dénonciation. Il pose forcément un regard critique sur le monde. On pense souvent qu’il n’y a rien à dire du bonheur et des choses positives. Il n’empêche que je pense que l’on peut rire de tout. A condition que cela soit fait intelligemment.