Grand Prix Culturel, 2014
2011
Nouveaux nez et autres préoccupations
GENEVIEVE PETERMANN à la Galerie Impression, 2011, La Chaux-de-Fonds
L’exposition Nouveaux nez et autres préoccupations présente divers travaux de Geneviève Petermann, dont certains ont été montrés lors d’accrochages collectifs, d’autres n’ayant pas encore été exposés en public. Cet événement constitue une des rares apparitions personnelles d’une artiste bénéficiant déjà d’une longue et riche expérience artistique dans des domaines aussi variés que l’écriture, la peinture, la sculpture, le dessin et les techniques d’impression.
Les différents ensembles qui forment cette exposition n’ont pas été conçus initialement comme un tout. Ils tissent cependant entre eux des liens aisément discernables.
Une première concordance identifiable réside dans la couleur et l'omniprésence des tons rosés, de la couleur de la chair. Une constante qui révèle un attachement pour l'individu, la personne humaine à travers ce qu’il a de plus tangible, l’épiderme. Qui parle de peau évoque la nudité. Les personnages auxquels l'artiste donne vie apparaissent souvent dans leur plus simple apparat. Sans embarras, ils invitent le spectateur à s'intégrer dans une sphère d'intimité immédiate. Une impression renforcée par la traduction figurative des détails et la prédilection pour ce qui relève de l'infime et du minuscule.
Geneviève Petermann est une artiste à la sensibilité « à fleur de peau ». C'est une tournure opportune, qui permet de rebondir sur une autre caractéristique de son travail : l'intérêt pour les jeux de mots, les associations d'idées, les comparaisons de langage. Geneviève Petermann aime les mots. Elle aime les images. Elle aime les objets. Elle aime confronter les uns aux autres et s’amuser à souligner le comique engendré par certaines de leurs combinaisons. L'artiste manie l'humour à merveille comme outil d'expression. Pratiquement, cela signifie qu'elle a recours à l'isolement avec ses sujets, au déplacement, à la transformation, à la décontextualisation. De ces opérations découle l’alchimie du rire.
Quelle mise en abîme déconcertante et quelle indiscrète auto-dérision pour l’homme, quand celui-ci est amené à se contempler par les trous de nez !
Paradoxalement, derrière l’apparente fantaisie des installations, l’œuvre de Geneviève fait écho de questionnements plus profonds, quand, par exemple, elle évoque la singularité de l'individu au sein de la multiplicité. Cette problématique est subtilement traitée dans les séries des nez. D'une part en vision macro, où les contours nasaux dessinent pour chacun des volutes aussi méconnaissables qu'originales. D'autre part en vision micro, sur le mode du collectionneur d'entomologie, où chaque espèce collectée perd son identité au profit de la masse, identité qu'elle regagne sous l'éclairage de la loupe et du déchiffrage de sa nomenclature. Quand un spécimen n'est plus seulement qu'un préfixe à [nέ], il devient un être en soi.
Des soucis analogues semblent avoir guidé la confection des êtres de chiffons, ces poupées malformées par les lois du hasard, qui ne doivent leur touchante forme d’humanité que par l’effort qu’ils consentent pour rester en équilibre sur l’échafaudage précaire qui leur sert de socle. Ces pantins claudiquant suscitent l’attachement par la singularité assumée de leurs traits, par la candeur de leurs sourires à peine esquissés ou par la bonhomie involontaire que dessinent leurs proportions aléatoires.
Au coeur du travail de Geneviève, on est capté par un univers d’une délicatesse infinie, mu par une préoccupation d’humanité et orienté vers la célébration des sens.
A bien les contempler, les figures qui se profilent sous nos yeux ne sont plus que des personnages aux organes sensoriels hypertrophiés qui lancent vers la voûte des supplications étouffées et tentent, dans des postures de funambules, d'apprivoiser la mort en lui rendant un dernier baiser.
Yannick Zürcher